PRÉSENTATION DE PESTIPOND

Rôle des retenues d’eau artificielles et naturelles dans le transfert et l’impact des pesticides dans les eaux de surface de la zone critique en milieu agricole 

Conception et réalisation : Sophie Le Ray – service communication de la délégation Alsace du CNRS, dans le cadre du projet ANR AActus – sciences avec et pour la société AAPG 2018-2019.

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De janvier 2019 à décembre 2023, les scientifiques impliqués dans Pestipond ont cherché à développer une approche pour mieux comprendre le rôle des retenues d’eau sur la pollution des eau de surface par les pesticides chimiques de synthèse. Pour cela, ils ont étudié le transport des pesticides depuis les parcelles agricoles, leur interception par les retenues, et les mécanismes impliqués dans la dissipation de ces pesticides.

Des prélèvements d’eau, de sédiments et de végétation ont été réalisés sur le terrain. Des expériences complémentaires en laboratoire et sur sites ont permis de mieux comprendre si les retenues retiennent et dégradent les pesticides, à quelle vitesse et par quels mécanismes.
Le projet a apporté un certain nombre de connaissances sur les processus hydrologiques et biogéochimiques au sein des retenues. Il a également permis de modéliser des scénarios de gestion visant à atténuer les transferts de pesticides dans les eaux de surface.
Ces résultats seront utiles à tous les gestionnaires de terrain dont le rôle est déterminant pour la protection des captages d’eau sur le territoire, dans le cadre de la transition écologique : les Agences de l’Eau, l’Agence de l’environnement et de la Maîtrise de l’Energie, les syndicats d’eau, les coopératives locales, les bureaux de conseil en ingénierie…
Lien vers la synthèse des résultats à destination des partenaires socio-économiques :
                              Les données obtenues grâce à PESTIPOND alimentent des modèles mathématiques qui permettent de mieux quantifier et prédire les risques de transport des pesticides des parcelles agricoles vers les retenues, ainsi  que les mécanismes liés à leur dissipation.
Des pesticides jusque dans nos cheveux

Les pesticides sont utilisés dans l’agriculture conventionnelle, pour supprimer les « mauvaises herbes » (herbicides) , les insectes ravageurs (insecticides) et les champignons nocifs pour les plantes (fongicides). La France utilise abondamment les pesticides, en raison de l’importance de ses surfaces cultivées et de son modèle agricole dominant. Cela explique qu’on les retrouve dans les sols, l’eau, les aliments et même… jusque dans nos cheveux !

Les pesticides les plus persistants et toxiques ont été bannis, mais des composés dont la toxicité est peu connue et d’autres avérés cancérigènes, mutagènes et/ou reprotoxiques (cmr) subsistent.

L’utilisation et le transport des pesticides des champs vers les milieux aquatiques génèrent un immense problème de santé environnementale et humaine, qui coûte cher à la société.

Lorsqu’il pleut et que l’eau ruisselle des parcelles agricoles, les résidus de pesticides qui n’ont pas été dégradés dans le sol sont transportés vers les rivières ou vers les nappes d’eaux souterraines. Cela peut rendre l’eau impropre à la consommation pendant très longtemps, et conduire à la fermeture des captages d’eau potable.

La manière dont ces molécules de pesticides se dégradent et les répercussions de leurs produits de transformation dans l’environnement étaient, jusqu’à ce jour, peu connues.

Une partie des pesticides est interceptée et « cassée » par les microorganismes présents dans le sol, tels que les champignons, les bactéries et les algues, mais cette dégradation est souvent incomplète. Cela engendre une accumulation de produits de transformation, qui peuvent parfois s ’avérer encore plus persistants, solubles et toxiques pour les organismes qui peuplent les sols et les eaux.

Le rôle de filtre des retenues d’eau

L’eau de ruissellement chargée en pesticides provenant des champs est parfois interceptée par des retenues d’eau. Elles sont constituées d’eau, de sédiments et de végétaux et peuvent prendre la forme de zones humides ou de bassins de rétention d’eau. Ces retenues peuvent avoir diverses fonctions : l’irrigation, la prévention des inondations ou encore les loisirs et favorisent la biodiversité.

PESTIPOND a permis de mettre en évidence le fait qu’elles présentent également des mécanismes intéressants pour retenir et dégrader les pesticides et leurs produits de transformation, qui étaient jusqu’à présent peu connus.

Ces données apportent autant à la recherche qu’aux gestionnaires, aux acteurs du territoire et aux agriculteurs, afin de mieux valoriser ces retenues dans le cadre des futurs aménagements paysagers des territoires.

L’effet du positionnement des retenues sur l’interception des eaux de ruissellement ou de drainage et des pratiques agricoles en amont a également été étudié.

Les retenues peuvent parfois agir comme des « stations d’épuration » des pesticides, mais ce n’est malheureusement pas toujours aussi simple. Leur efficacité varie selon les conditions climatiques, le temps de séjour des molécules, les types de retenues, leur positionnement, les caractéristiques de leur environnement et les propriétés physico-chimiques des pesticides.

Comme dans les sols, la dégradation des pesticides dans les retenues génère des produits de transformation, souvent mal connus, potentiellement toxiques.

Piégeage, dégradation... Où vont les pesticides ?

Les retenues permet tent de dissiper les pesticides, grâce à deux processus : l’adsorption, qui consiste à capturer temporairement les pesticides au sein de la retenue, et la dégradation, qui consiste à « casser » les molécules des pesticides.

Dans les deux cas, cela se traduit par une diminution de la concentration
de pesticides dans l’eau mesurée en sortie de retenue…

… mais en réalité, seule la dégradation entraîne une diminution réelle de la quantité de pesticides dans la retenue !

Les produits de transformation issus de la dégradation des pesticides ont des propriétés différentes des molécules initiales : ils sont moins piégés par les sédiments, et donc plus facilement exportés en aval des retenues.

Une diminution de la concentration de pesticides mesurée dans l’eau n’implique pas nécessairement une baisse de la quantité de pesticides au sein de la retenue, qui inclue l’eau mais aussi les sédiments, les plantes et les organismes !

Au sein des retenues, les pesticides hydrophobes (insolubles dans l’eau) ont tendance à se fixer aux sédiments et à s’y s’accumuler, avant de se dissiper. Leur adsorption dépend notamment de l’épaisseur, de la texture et de la quantité de matière organique présente dans les sédiments. Cela a pour conséquence immédiate une plus faible concentration de pesticides dans l’eau. Sur le long terme, la remise en suspension des sédiments lors d’événement de crue ou de désorption de pesticides peut entraîner des pollutions secondaires.

Les pesticides hydrophiles (solubles dans l’eau) sont quant-à eux peu dissipés et se retrouvent généralement transportés tels quels en aval des retenues. Une partie peut néanmoins être absorbée par la végétation de la retenue.

La tendance naturelle des pesticides à se fixer sur les sédiments et la vitesse de dégradation des pesticides dans les différents compartiments des retenues sont des caractéristiques essentielles à connaître pour prédire leur devenir.

Quels facteurs influencent la dissipation des pesticides ?

L’interface entre l’eau et les sédiments joue un rôle majeur dans la dissipation des pesticides. Cette zone impacte leur adsorption, mais aussi la quantité et l’activité des microorganismes capables de dégrader les molécules. À la surface de l’eau, les molécules de pesticides sont dégradées par l’énergie du soleil ; ce processus se nomme la photolyse directe. En profondeur ou si l’eau est trouble, la photolyse a peu d’effet direct sur la dégradation des pesticides. Cependant, l’énergie solaire peut activer d’autres paramètres, comme les nitrates et la matière organique, qui peuvent transférer cette énergie pour dégrader les pesticides de manière indirecte : on parle alors de photolyse indirecte.

L’efficacité des retenues pour dissiper des molécules de pesticides varie dans le temps et l’espace.

Les conditions climatiques : la température agit sur l’activité microbienne et donc la dégradation des molécules, mais aussi sur l’adsorption des molécules sur le sédiment.

Plus les molécules restent longtemps dans les retenues, plus elles peuvent se dissiper ; en revanche, si elles traversent rapidement la retenue, elles ne sont que peu ou pas dissipées.

L’intensité des crues, la saisonnalité et la circulation de l’eau au sein des retenues influent directement sur le temps de séjour des molécules, et donc leur dissipation. Les résultats des suivis expérimentaux et des travaux de modélisation ont permis de proposer des abaques de
dimensionnement qui tiennent compte du temps de séjour des pesticides. Ces outils permettent de déterminer la taille idéale d’une rétention d’eau en fonction du temps nécessaire pour que les pesticides disparaissent. Cela permet de proposer soit des volumes de stockage, soit des surfaces d’emprise foncière en fonction d’un objectif de rétention souhaité. Dans le cas de transfert de pesticides par drainage agricole, 1% du bassin versant amont consacré en retenue artificielle pourrait diminuer de plus de 70% les flux de pesticides en sortie.

Des crustacés pour étudier les pesticides

Les gammares sont des crustacés très présents dans les cours d’eau tempérés d’Europe. Ils sont très utiles pour évaluer si les pesticides sont toxiques et combien de ces produits chimiques peuvent être ingurgités par d’autres organismes et se retrouver à l’intérieur
de leurs tissus. Les chercheurs ont étudié des gammares du site de Rampillon pendant des périodes de fort drainage, au printemps. Ils ont mesuré leurs niveaux d’accumulation de différents herbicides, fongicides et insecticides et les ont comparés entre les gammares situés en amont et ceux en aval des retenues.

La présence de retenues d’eau semble améliorer les conditions de vie aquatique en sortie de système

Des fluctuations importantes des taux de pesticides absorbés par les gammares ont été observées au cours des périodes. Elles traduisent les variations de flux de pesticides transitant dans la retenue, en lien avec les pratiques agricoles et l’hydrologie du bassin.

Des paramètres biochimiques et comportementaux ont également été mesurés sur les gammares pour évaluer la toxicité de différentes zones au sein de la retenue.

Les chercheurs ont montré que les gammares en amont de la retenue ingurgitent des concentrations de pesticides plus élevées que ceux situés en aval. Cela témoigne du fait que les concentrations de pesticides sont plus faibles à la sortie des retenues. Au niveau cellulaire, des effets néfastes sur la capacité des gammares à digérer leurs aliments ont été constatés. Cela s’accompagne au niveau individuel d’une diminution de l’alimentation, suggérant des effets en cascade. Ces premiers résultats révèlent des effets toxiques potentiels chez les gammares soumis aux influx de pesticides. Ces effets s’estompent en sortie de retenue, probablement du fait de la dissipation des pesticides dans la retenue.

Réduire l’usage des pesticides, une nécessité

Les résultats de PESTIPOND montrent que certaines molécules restent pendant des décennies dans les sols et sont transportées lors des évènements pluvieux.

Les retenues ne captent qu’une partie des pesticides provenant des champs ; les pesticides qui s’infiltrent ne sont ainsi pas interceptés, et l’efficacité de dissipation des retenues reste limitée pour certaines molécules.

La réduction de l’usage des pesticides sur les parcelles agricoles est donc essentielle.

D’autres modèles agricoles réduisent l’utilisation de pesticides de synthèse, et tirent parti des bénéfices de la lutte biologique. C’est par exemple le cas des systèmes agrobiologiques et agroécologiques.

L’agriculture biologique se passe totalement de l’utilisation de pesticides de synthèse.

Pour accompagner la transition vers une adoption à plus large échelle de systèmes agricoles novateurs, la présence de retenues atténue les pics de pollution lors des évènements pluvieux et améliore la qualité de l’eau à la sortie, à condition d’optimiser leur environnement.

ANR PESTIPOND

Contact: jean-luc.probst@ensat.fr

 

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